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Une paix si longue à venir

  • Photo du rédacteur: Marc Hatzfeld
    Marc Hatzfeld
  • 15 oct.
  • 7 min de lecture

Dernière mise à jour : 22 oct.

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En septembre 1978 une amie d’origine juive vivant à New York est venue me saluer à l’aéroport de Perth avant mon départ pour l’Europe. On venait d’apprendre que la paix se dessinait entre L’Égypte et Israël. Elle était enthousiaste. Ils ont déjeuné ensemble disait-elle en parlant de Sadate et de Begin. Dans cette région du monde lorsqu’on a partagé un repas on ne peut plus se faire la guerre ! Elle avait raison. Lorsqu’on a appelé mon vol, elle m’a encouragé à me réjouir et nous nous sommes embrassés. C’est comme ça que la paix se fera, il faut y croire ! Sadate et Rabin ont été assassinés dans les années qui ont suivi. La paix a fait le dos rond. Pourtant une fois de plus, a boule au ventre, j’y crois un peu.


Les guerres sont des phénomènes presqu’impossibles à comprendre tant ils transgressent les désirs proclamés par la plupart des humains. Il est plus facile de les voir comme l’expression d’une violence déployée dans le règne animal soi-disant pour des conflits de territoires. On sait par une mémoire longue ce qui reste des guerres : des morts, des estropiés et des viols par millions, des mensonges et des abominations telles qu’elles n’ont pas même de nom. Il arrive que les guerres soient longues au point de n’en pas voir le bout. Mais les guerres se terminent parfois par un état qu’on appelle la paix. La guerre centrée sur la Palestine qui vient de suspendre notre souffle ne remonte pas à Flavius Josèphe quoique ce premier siècle de notre ère nous aspire dans une continuité colonialiste. Et puisque le mot est lâché, il me semble que le conflit guerrier qui oppose maintenant l’État d’Israël à la population palestinienne remonte à la logique suprémaciste européenne caractérisée par le phénomène colonial. Une litanie prononcée par des personnes aussi diverses que Golda Meir, Moshé Dayan, Itamar Ben Gvir ou Bezalel Smotrich, suggère que ça tombe bien : voici « une terre sans peuple pour un peuple sans terre ». Ce slogan a été l’objet d’une croyance aussi fumeuse et brutale que l’idée d’une terre plate ou celle d’une création assurée en sept jours. C’est au nom de cette croyance que la colonisation de la Palestine par une poignée de Juifs d’Europe a commencé à la fin du XIXe siècle, s’est poursuivie tout le XXe et s’est presque achevée.


La situation d’aujourd’hui peut se mesurer à ce « presque ». Le contraire de la guerre n’est pas la paix. La paix ne signe pas l’état d’insouciance des peuples sans histoire. Ce qui s’est produit au cours d’une semaine voltigeant autour du phantasme de prix Nobel d’un président américain aux trois quarts fou est la fin d’une séquence qu’il serait malgré tout difficile de reprendre à zéro. Les otages sont rentrés. L’armée israélienne ne bombarde plus Gaza, mais protège les exactions des colons de Cisjordanie. Autour de la mythologie qui prétend qu’une guerre se perd ou se gagne, je vais dresser un inventaire pas du tout prospectif de l’état présent en évitant de tomber dans des délires géopolitiques


Je rappelle ce que beaucoup sont tentés d’oublier, c’est qu’à la veille du 7 octobre 2023, la conscience du monde avait oublié le peuple palestinien. Les gouvernements, les citoyens, la presse du monde entier et les récits convenus laissaient filer cette population de fellahs spoliés dans la fosse des pertes et profit. La rumeur silencieuse faisait passer le peuple palestinien de la mémoire à une histoire réécrite par la lâcheté. Sauf à Gaza, en Cisjordanie et aux franges de quelques ilots d’Europe et d’Amérique du Nord condamnés à compenser les faillites de l’histoire par une obstination à tenir à bout de bras la mémoire de la Palestine. Ce n’est plus le cas. La population de Palestine a été l’objet d’un génocide qui s’est arrêté sous la pression de pays divers qui avaient laissé des drapeaux palestiniens flotter dans des manifestations furieuses de leur jeunesse libre. Au cours de ce génocide inachevé à ce jour, on peut imaginer en se fondant sur des chiffres d’observation raisonnables que des centaines de milliers de Palestiniens de tous âges, femmes, hommes et enfants, ont perdu la vie, ou la raison, ou leur mémoire propre, leur intégrité physique ou mentale. Mais pas la terre qu’ils ne voulaient pas se laisser voler une seconde fois. Les Palestiniens ont perdu une part de leur intégrité physique et mentale, mais pas leur intégrité morale. Ils ont gagné la Palestine. Ils ont une terre, la leur, conquise par leur obstination à exister. Ils leur reste cette fierté et un champ de ruine qui ne tient qu’à un fil.


Israël a gagné d’avoir encore survécu, mais à un prix élevé. Israël a été inventé et créé par des Juifs d’Europe excédés d’avoir été objet d’un génocide rampant pendant une dizaine de siècles avant d’être victimes d’un génocide total presqu’achevé. La création de l’état d’Israël résulte de la terreur d’une nouvelle extermination. Elle a débouché sur ce qui se faisait alors : une colonisation. Une colonisation justifiée par une prétention de supériorité et par la force militaire. D’avoir insisté au point de tenter de supprimer la population colonisée ajoute l’aveuglement à la prétention. Israël s’est alors adossé à la plus formidable puissance militaire du monde pour réussir le dépassement de sa colonisation. Elle l’a fait par deux années de bombardement au prix d’un renoncement au respect qu’elle se doit et qu’elle attend des autres. Génocide ?  Israël y a perdu son âme ! Une âme se perd vite et se retrouve rarement. Demandez aux Allemands.


Les Américains du nord doivent leur puissance formidable à leur armée, leur dollar, leur sens des affaires, mais aussi à leur audace. Ils la doivent à leur imagination créatrice, mais aussi à l’esclavage et au génocide des autochtones. Ils se croient les enfants préférés de leur divinité. Ils ont la naïveté des adolescents et aussi leur toupet et leur goût pour les coups foireux. C’est par une excitation narcissique tapageuse que Donald Trump, courant après une récompense comme après une friandise, a fait taire les bombes sur Gaza. Ce répit peut durer deux jours comme cent ans. Mais il l’a fait. Le problème est que ces mêmes États Unis ont durant des dizaines d’années, fourni les armes et les munitions qui ont permis aux illuminés d’Israël de poursuivre leur indicible jeu d’extermination. Une part de la population de cette Amérique millénariste croit qu’il lui appartient par injonction divine de régler les affaires du monde. L’intervention de la croyance surnaturelle rend toute décision imprévisible. Entre cet ado attardé et la divinité nourrie à l’IA qui fait ce qui lui chante, il peut se passer n’importe quoi. De là est venu un rai de lumière, De là il peut disparaître.


La Grande Bretagne a offert au monde une langue qui met celui-ci à sa botte, le libéralisme économique qui ronge ce même monde et les Beatles qui l’ont irrigué leurs chansons canailles. Elle a régné entre autres sur un bout de ce Moyen Orient riche en pétrole et en prophètes à partir de 1917 quand, par souci de gagner la première guerre mondiale, elle a accepté l’établissement d’une présence sioniste en Palestine (qu’elle a reconnu du même coup) à la condition qu’il n’y ait pas de discrimination entre les populations qui y vivaient. Par ce coup de dé royal joué par le premier ministre Balfour elle a gagné quelques années plus tard une part modeste mais juteuse en pétrole de cet Orient. Tony Blair a convaincu à ce jour Donald Trump de faire de la reprise en main de cette zone giclant d’hydrocarbures une affaire en or. Drill, baby drill, ça Trump le comprend. Entrant dans les pas de Balfour, Blair a l’intention de faire des ruines de Gaza une riviera à la gloire du même Empire qui est passé d’une rive atlantique à l’autre. Il est à l’aise. La finance, le pétrole, le commerce et l’entourloupe n’importe quel Britannique bien né connait ça. Il sera efficace à son poste, il l’a dit. Il en a fait d’autres.


La France est un tout petit pays. Elle n’a rien dans les mains et rien dans les poches. Cette condition peut la servir. La France fait rire, mais pas peur. Il lui reste un siège au Conseil de sécurité et une bombinette atomique qui marche peut-être. Elle sait jouer d’une habileté diplomatique qui lui demande suffisamment de pirouettes pour qu’elle soit devenue professionnelle. La diplomatie est un jeu d’illusions qui comprend une part de sérieux, surtout dans les instants tragiques. Il reste à la diplomatie française quelques cuillères en argent et des réseaux. Son président peut être ridiculisé dans son pays, il dîne avec les grandes personnes. Ce que joue le Président français, c’est la place d’une Europe qui avait disparu des écrans. Comme le 24 février 2003 devant le Conseil de sécurité Villepin avait scotché les diplomates du monde en tenant tête aux États Unis, la France d’Emmanuel Macron a reconnu la Palestine. Hop-là ! Ce geste habilement orchestré a valu à notre Président d’être invité parmi les géants du moment. Il lui reste à parfaire son geste au nom de l’Europe, mais bon...


Le plus redoutable ennemi de la population palestinienne n'est ni le gouvernement d'Israël ni celui des États Unis, c'est le Hamas. Outre le choix de la terreur comme vocabulaire politique, le Hamas donne un visage odieux à une résistance vieille de plusieurs siècles qui ne manque pourtant ni de personnalités remarquables ni d'un sens de l'histoire éprouvé. C'est l'affaire des Palestiniens.


Je me tamponne de la place de l’Europe comme de la santé mentale de Trump et de la grivèlerie de Blair. La paix dans cette région du monde me tient à cœur. Un jour, dans une fête foraine en Oregon avec ma famille, j’ai vu un vieux Coréen faire la manche en calligraphiant des mots sur du papier de riz. Je lui ai demandé de me calligraphier le mot paix en pensant à cette guerre. J’ai gardé ce papier calligraphié pendant vingt-deux ans devant moi sur ma table jusqu’au mois d’août dernier où il a pris feu. Ma mémoire me renvoie à ce papier de riz qui me dit le prix de la paix.


 
 
 

1 commentaire


Michel Juffé
Michel Juffé
15 oct.

trsè beau, à partager (ce que j'ai fait)

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Marc Hatzfeld, Sociologue des marges sociales
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