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Merci, mister Macron





De loin, l’homme est assez sympatique. On pourrait presque le croire bel homme s’il ne lui manquait l’étincelle. On le dit séduisant et quelques uns se sont laissés surprendre par son charme. Depuis six ou sept ans qu’il a envahi notre monde d’images flamboyantes, on a pourtant du mal à savoir ce qu’il reste de l’attention qu’il a tenté de cultiver chez nous. Car nous sommes en droit d’attendre qu’il délivre quelques réponses ajustées à des questions qui sont posées aux personnages de son rang. Genre : qu’est-ce qu’on fait si la guerre nous arrive dessus ? Ou bien : pourquoi ne fait-on pas plus attention à la vie des gens pauvres qui se multiplient dans un pays si riche ? Ou encore : a-t-on pensé, prévu, anticipé l’arrivée des régugiés climatiques ? Et aussi : quid des autres vivants dont nous vivons ? Ces questions comme tant d’autres du même acabit font partie de son métier de base. On ne lui demande pas des idées mirobolantes d’ailleurs, on attend de lui qu’il fasse ce qui lui semble opportun et qu’il le fasse franc du collier, sans donner des leçons à longueur de semaines. Sans surtout qu’il se justifie pour dire qu’il est la pour agir et fichez-moi la paix sur un ton de général à Austerlitz. Ce qui éblouit aux premiers temps est qu’il peut parler indéfiniment, avec une certaine habileté syntaxique sans que la moindre fatigue n’apparaîsse sur sa frimousse. Juste un peu d’irritabilité lorsqu’on lui demande encore ce qu’il va finalement faire de sa charge. C’est vraisemblablement qu’il n’en sait rien. D’où la parole. Peut-être pense-t-il tout haut afin d’y voir plus clair dans son propre jeu. Il lui arrive de touchants instants illuminant son regard d’une lueur enfantine (covid, glyphosate, fin de vie, etc). Ça lui passe vite,  peut-être craint-il les interprétations de faiblesse qui émergent du doute. Donc jamais pris en faute, jamais de perplexité. Peut-être est-il l’une des premières apparition de l’indécision artificielle (IA) dans la politique. En attendant qu’il nous livre la réponse à cette question enchevêtrée, faute d’avoir de quoi nous en mettre sous la dent, il parle.


Si je cherche le défaut qui le rend si lisse et bavard à la fois, je dirais que c’est l’absence de désir. S’il l’a déjà connu, cet homme a perdu le désir en cours de route. Comme certains naissent sans dents ou sans pouce à la main droite, je crains fort qu’il soit né sans désir. Je ne parle pas seulement de libido, je parle de ce qui tient de la curiosité vitale, de la tension jouissive sur le chemin du rêve. Je parle de ce qui fait bouger le vivant vers l’inconnu, le futur, le plaisir, l’autre, la joie. La relation amoureuse, comme le processus artistique, la recherche scientifique ou la promenade du petit matin reposent sur le désir. La politique aussi. Dès l’enfance, les vivants se construisent sur leurs désirs propres. Non pour les satisfaire, ces désirs, mais pour jouir de sentir l’urgence de l’espoir envahir le corps. On pourait, en politique, désirer contribuer à faire de son pays un jardin. Ou en faire le lieu de l’intelligence partagée. Ou encore mettre en œuvre le partage afin de supprimer injustices et abus. On pourrait être attiré vers l’harmonie d’un monde où les espèces vivantes retrouveraient une solidarité originelle. Ou d’un monde où la beauté l’emporterait sur sur les sentiments abjectes des uns pour les autres et sur les poubelles puantes que sont devenues nos villes. Il arrive qu’on s’investisse en politique pour contribuer à mettre en œuvre un désir collectif jugé décent ou magnifique. Qu’on fasse tout pour nommer ce désir, pour le faire apparaitre, pour l’amorcer et en enclencher le mouvement. Il semble qu’il arrive aussi qu’on avance dans la vie, dans l’âge, dans les mystères du temps, sans avoir connu le désir qui y pousse. L’impression que donne cet homme est qu’il ignore même être privé de désir. Qu’il n’y a jamais pensé, tout occupé qu’il est de choses graves comme les retours d’investissement ou la fureur de l’ordre. Il est l’homme du spectacle verbal. On pourrair en rire si cette infirmité ne posait au moins deux problèmes. 


Le premier est que la parole creuse dissout dans une soupe tiède le sens des mots avec lesquels nous avions l’habitude de juger de la justesse des choses. Il y a pire dans le genre, les grands dictateurs de notre époque si féconde en cynismes le dépassent d’une bonne coudée. Mais notre bon élève bien élevé dispose d’un avantage par défaut d’alternative. Sachant se moucher sans faire de bruit et baragouinant l’anglais de Singapour avec assurance, il passe tout juste, mais il passe. Ses jeux du faux vrai s’accumulent cependant. Claironner que nous sommes en guerre tandis qu’il s’affronte à une épidémie fait communiquant bon marché. Jurer qu’il a compris les effets d’un poison agricole pour retourner sa veste à la première grogne sectorielle des idustriels de la betterave reste dans toutes les mémoires concernées. Son ton de prof bien pensant pour enjoindre un chômeur à traverser la rue fait bigrement enfant gâté. Son inversion des rôles lors de l’assassinat du jeune Nahel, pas un mot à la famille du mort et cajoleries à la police, engendre la rage dans la classe populaire. Sa soumission au syndicat agricole majeur dirigé par un homme d’affaire multimillionaire se dit de plus en plus. Sa parole tient, mais perd en crédibilité comme en élégance chaque jour. 


Le second problème est que la vacuité du verbe ne dure pas. Il se passe aujourd’hui ce qui devait arriver, c’est que le creux du discours s’est rempli du très moche projet de notre époque, celui de l’extrème droite tonitruante la plus rétrograde depuis trois quarts de siècle et la plus menaçante pour les humains comme pour la vie sur terre. On retient son souffle. En matière d’environnement, de logement, de liberté de la presse, d’alliances internationales, d’éducation, d’identité citoyenne, d‘immigration, d’usage de drogue, de sûreté publique, de vie associative, d’indemnités de chômage, en toute matière sans exception ou presque, les gouvernements d’Emmanuel Macron ont mis en œuvre le programme et même des souhaits inexprimés de l’extrème droite identitaire. Avançant à petits pas de renoncements en lâcheté, puis allant jusqu’à la conviction bétonnée de valets soucieux de réélection, les Français sont entrés dans un pays qu’on aurait qualifié de fasciste il y a moins de dix ans. Merci monsieur Macron.

A propos
Bienvenue sur ce blog. Vous y trouverez mes réflexions sur... 
Marc Hatzfeld, Sociologue des marges sociales
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