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Après les enfants, les vieux



Lorsque nous verrons défiler des femmes et des hommes au long de manifestations qui visent à obtenir une retraite convenable, pensons que ça n’est pas la première fois qu’ils se battent. Pas la première fois qu’ils mettent en jeu leur salaire pour demander un peu de décence, s’il vous plaît. Il a fallu près d’un siècle pour supprimer dans notre pays le travail des enfants. Rappelons nous que l’industrie européenne triomphante prétendait avoir besoin que des enfants travaillent dès l’âge du CM2, parfois de la maternelle. Ils trimaient au fond des mines, portaient des charges aux abords des chantiers, nettoyaient de leurs petit doigts des machines à tisser, souvent jusqu’à dix heures du soir. Eux n’avaient pas besoin de retraite, ils mouraient d’épuisement à vingt-cinq ans. Pendant ces années triomphantes, les patrons d’industrie et les législateurs qui géraient notre pays assuraient, chiffres à l’appui, que faute de cette collaboration enfantine, ainsi que de salaires au lance-pierre et de semaines de 48 à 60h, ils ne pouvaient ni lutter contre la concurrence, ni se lancer dans l’aventure coloniale qui allait rapporter bien davantage, ni même équilibrer les comptes de leurs activités florissantes. Ils recommenceraient bien, ces gens d’affaire, banquiers et entrepreneurs audacieux. Ils recommenceraient bien à faire travailler les gosses, nos gens d’industrie, mais ont quelque pudeur à refaire le coup des tout petits. Ils s’en prennent donc aux vieux. Législature après législature, conciliabule après conciliabule, chiffres à l’appui, ils grignotent les années disponibles des vieux. Ils affirment avoir le couteau sous la gorge et qu’il leur faut équilibrer leurs comptes faute de quoi le pays irait à sa ruine. Rengaine. On ne taxera pas les riches car ils pourraient s’évader au Panama, en Irlande ou en Chine. On ne taxera pas les GAFAM car ces gens ont inventé la richesse du futur et ils parlent si bien l’Anglais. Alors on va essorer les vieux pauvres de par ici. À chaque occasion, on leur prendra deux ans, c’est une affaire de patience. Le temps qu’ils aient compris la manœuvre, on sera loin et, pas-vu-pas-pris, on aura fait ronronner de bonheur la bourse. Lorsque nous défilerons avec ces vieux à demi-esquintés réclamant de souffler après une existence de trimard, pensons qu’ils se battent non pour des droits acquis et de grands principes, mais parce qu’ils pensent qu’au fond, la vie vaudrait vraiment d’être joliment vécue. C’est ça qui est en jeu : le droit de vivre avec joie, simplicité, bonne humeur et sans rancœur. Ce qui sort des les poitrines, dès qu’on discute avec les gens de la rue, c’est que ce bastringue de postes de travail, d’horaires, d’humiliations, de burn-outs, de licenciements était tolérable tant qu’on espérait un jour, glander au bistro avec ses potes, accompagner ses petits-enfants au ciné, faire un tour à la plage. Jamais il n’est question d’extravagances financières permettant de réparer le toit d’une résidence secondaire, tertiaire ou quaternaire, mais de choses simples : saisir la vie de ce jour dont on sent qu’elle devrait nous offrir de quoi rire, de la tranquillité, de l’insouciance, quelques amours s’il en passe encore par là. Jamais notre pays n’a été aussi riche qu’aujourd’hui. C’est dans tous les journaux. Pas de guignolade, tout le monde sait où se trouve l’argent pour que les écoles enseignent, que la justice juge, que les hôpitaux soignent, que les trains partent et que la richesse soit distribuée avec justesse. Et pour que ceux qui se sont usés à bosser jouissent quelques saisons de ce qu’il leur reste de corps vaillant et de vie à vivre.

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Marc Hatzfeld, Sociologue des marges sociales
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