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Une liesse footbalistique et un peu plus


Je m'étais trouvé par hasard, mi-juin, sur la dernière ligne droite de la manifestation qui, chaque samedi, soutient à Paris le mouvement d'émancipation qui ravit l'Algérie depuis janvier 2019. J'y retrouvais l'esprit des printemps arabes qui avaient ébaubi le monde. J'étais scotché, ce samedi, par la présence simultanée des drapeaux tamazight et algériens, par l'absence de voile sur les cheveux des femmes, par la bonne humeur, le métissage des langues et l'intensité des discussions qui avaient suivi l'arrivée de la manif place de la Nation. J'étais dans cette foule l'un des seuls non Maghrébins et, mis à part une altercation insignifiante, personne ne me calculait. Ce qui m'émouvait le plus est ce qui m'attache à la population algérienne de France, la farce bravache à fleur de regard, la jeunesse des ports de tête et la joie intense d'entre espoir et inquiétude. Je n'ai observé qu'en différé la joie qui a suivi la victoire des Fennecs, mais elle m'a chamboulé elle aussi. Sans aucune explication qui tienne debout, je suis fier de cette victoire. Je me sens, à l'occasion des manifestations de révolte politique récentes comme dans le sillage de la coupe d'Afrique, plutôt Algérien. Lorsque je suis dans un bar marseillais comme dans les parcours que j'ai accomplis pendant trente ans dans le 93, je suis volontiers Tunisien, bigrement Algérien, Marocain de cœur, un peu de là-bas comme disaient les exilés divers des années 1960. Nous avons tellement entendu résonner pendant un demi-siècle les mots d'Algérie française dans les conversations de famille, de bistro et de lycée que l'idée que la France du XXIe siècle soit teintée d'Algérie me réjouit. Je me sens Algérien par le raï, par le sens de la dérision, par la longueur du destin commun, par mes amis Nourdine, Azouz, Victorri et bien d'autres, par la responsabilité devant l'histoire, par le partage de la mer, par le respect porté à Kateb Yacine, Albert Camus ou Kamel Daoud et maintenant par le foot auquel je n'entends pourtant pas grand chose. Dans le cours de la construction européenne, je me suis souvent demandé pourquoi dans le pays de Braudel, il semblait aller de soi que les Français s'accordent mieux avec Danois, Finnois et Polonais qu'avec Algériens ou Marocains. Je n'en fais pas une affaire d'Etat, mais le jour où se présente l'occasion de célébrer pareil plaisir footbalistique, je m'empresse de partager la fête et d'y trinquer. L'an dernier, les jeunes Français d'origine maghrébine avaient célébré avec une sincérité sans réserve la victoire des Bleus à la coupe du monde. Cette année, je célèbre avec le même entrain la victoire des Fennecs à la coupe d'Afrique. Ce que notre siècle offre d'enthousiasmant autant que de déroutant est qu'on y peut être tout à la fois totalement Français, drôlement Algérien, Américain par la musique et le cinéma, Egyptien par liens familiaux, Tunisien par alliance, Colombien par accident et ainsi de suite. L'enracinement y est certes de plus en plus difficile, mais le ciel semble ouvert à l'infini.

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Marc Hatzfeld, Sociologue des marges sociales
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